post de
jupiterAlors pour faire revivre le souvenir de ces bataillon j'ai décidé d'enrichir ce forum avec un article sur les Bataillon de Tirailleurs Indochinois ( BTI). Pour évoquer cette article, je me suis aidé de l'excellent site "A.N.A.I" qui traite la mémoire du souvenir Indochinois et son auteur est le Colonel Maurice RIVES.
Je vous souhaite une bonne lecture...
Les Bataillons de Tirailleurs Indochinois (B.D.I)Lorsqu'elle apprend par un câblogramme, le 3 août 1914, la déclaration de guerre de l'Allemagne à la France, la communauté française de Saïgon manifeste une intense ferveur patriotique. Le Kegel-club, lieu de réunion des résidents germanophones est saccagé. La population autochtone pour sa part demeure calme, voire indifférente à l'information qui ne semble pas la concerner.
Le secrétaire général du gouvernement de l'Indochine, Jost Van Vollenhoven, qui remplace le gouverneur général Sarraut déclare l'état de siège puis propose au gouvernement de Paris l'envoi de troupes en Europe. A ce moment là, 23.930 militaires d'active servent dans la péninsule dont 13.373 tirailleurs, ces effectifs pouvant recevoir le renfort de 29.064 réservistes dont 23.936 autochtones. De son côté, la cour de Hué fait part de son désir de lever un bataillon de volontaires pour aller se battre en France.
Le généralissime Joffre, qui a pourtant servi à Formose, en Annam et au Tonkin de 1884 à 1888, ne donne pas suite à ces démarches. Pour lui, en effet, « les Annamites ne présentent pas les qualités de vigueur et de résistance physique pour être employés dans une guerre européenne ». En revanche, il est tout disposé à accueillir sur le front un corps d'armée japonais !
En fait, des Indochinois, ceux de l'équipage du contre-torpilleur " Mousquet " appartenant à la Division Navale d'Indochine, vont combattre dès le 29 octobre 1914. Placés sous les ordres du lieutenant de vaisseau Théroinne, ils affrontent ce jour là le croiseur léger " Emdem " devant l'île de Penang (Malaisie). Sans tenir compte de son infériorité en artillerie, le navire français à bord duquel se trouvent 80 hommes dont une dizaine de Cochinchinois fonce en direction de l'Allemand avec l'intention de l'éperonner. Touché par la troisième salve de l'" Emdem ", le " Mousquet " riposte puis coule pavillon haut. Une partie des marins français tombe alors à la mer, parmi lesquels les matelots Calloch et Tui qui tentent vainement de sauver le lieutenant de vaisseau Théroinne. Au cours du combat, le matelot Nguyên Van Co et les élèves mécaniciens Da Van Cu et Phan Van Phi ont été tués. Ce sont là les trois premiers morts indochinois de la grande guerre.
Jusqu'au début de 1915, la participation de la péninsule au conflit se réduit à l'envoi dans les Vosges des pousse-pousse de l'exposition coloniale de Lyon. Ces véhicules servent à transporter les blessés ; les archives ne permettent pas d'affirmer que les tireurs annamites les ont accompagnés. Avant cela, le 3 novembre 1914, un paquebot quitte Saïgon à destination de Marseille avec 2.220 militaires de carrière européens à son bord. Afin de faire taire la méfiance envers les tirailleurs indochinois, le gouverneur général par intérim Van Vollenhoven adresse à Paris une enquête portant sur la période 1909 à 1914. Les résultats de cette recherche prouvent que durant cette époque aucune agitation nationaliste n'a été décelée au sein des formations autochtones. En janvier 1915, le Ministre des colonies Domergue écrit à son collègue de la guerre Millerand que « le loyalisme des sujets de l'Union serait renforcé si nous les admettions à concourir aux opérations de guerre menées actuellement ». Déjà, par ailleurs, Paris a demandé l'envoi de mécaniciens et de laqueurs pour traiter les ailes des aéroplanes. Ces ouvriers arrivent à Pau le 28 mars 1915.
Au printemps 1915, les pertes humaines des forces françaises étant importantes, la Commission de l'armée avance l'idée de recruter 100.000 hommes en Indochine. Revenu de ses préventions de l'année passée, l'état-major affirme que « la péninsule compte d'excellents régiments de tirailleurs rompus à toutes les guerres ». Le général Pennequin auteur dès 1912 du projet de la « Force Jaune » est tiré de sa retraite. En octobre 1915, il écrit « qu'il se fait fort de lever de 40 à 100.000 montagnards et de les emmener en Égypte ». Plus modestement, le haut commandement table sur l'envoi de 35 à 40.000 hommes. Un câblogramme du 7 octobre 1915 autorise la participation armée de l'Indochine au conflit.
Alors que déjà 4.631 ouvriers autochtones ont rejoint la métropole, le gouverneur Roume presse le départ de deux premiers bataillons de militaires de carrière. Le 21 octobre suivant, 213 tirailleurs du 1er B.T.I. embarquent sur le " Magellan ", le reliquat suivant sur le " Mossoul ".
De 1915 à 1918, 43.430 originaires de la péninsule sont acheminés vers la France et l'Orient. Ils y forment 4 bataillons combattants et 15 formations d'étapes à vocation logistique. Parmi eux, on dénombre 9.019 infirmiers et 5.339 commis et ouvriers d'administration. De même, 48.981 travailleurs civils ouvriers spécialisés (O.S.) ou non spécialisés (O.N.S.) sont dirigés vers 129 établissements métropolitains. Les origines de ces 93.411 hommes sont les suivantes: Tonkin 24%, Annam 32%, Cochinchine 22%, Cambodge 22%.
Dans le domaine de l'armement, une grande partie de l'artillerie en service dans l'Union est également expédiée vers le front. Ainsi, 175 pièces sont embarquées pour Marseille et les canons des batteries côtières du Cap Saint-Jacques rejoignent le Cameroun. 55.000 tonnes de produits divers sont aussi acheminées vers Marseille. Parmi les envois figurent notamment 12.000 lances en bambou pour la cavalerie et 62.000 crosses de fusils en bois de bich lyang et de goi. En outre, les habitants de la péninsule souscrivent 541 millions de francs au titre de divers emprunts, obligations de la Défense Nationale ou contributions à des oeuvres de guerre.
Le recrutement Celui-ci est encouragé par les monarques d'Annam et du Cambodge. L'Empereur Duy Tân fait préciser que « le jour où la France triomphera, les volontaires bénéficieront d'une attention de la cour ». Le Roi Sissowath âgé de 80 ans déclare que « s'il avait 20 ans de moins, il partirait se battre ». Le nationaliste Phan Chau Trinh exilé en France ne s'oppose pas à l'enrôlement de ses compatriotes ; le 12 novembre 1915, il affirme son désir « de voir les Vietnamiens verser leur sang aux côtés des Français et mêler leurs cadavres avec ceux des métropolitains si bien que ces derniers auront à coeur d'aider ensuite les Indochinois ».
Les volontaires sont attirés par les primes promises, le désir de faire un grand voyage et d'acquérir la maîtrise de la langue française ainsi que des connaissances professionnelles. Certains supputent que leurs futurs exploits guerriers leur vaudront des décorations et des grades mandarinaux. D'autres ont l'espoir d'être naturalisés ou à tout le moins de se voir nommer à un emploi administratif. Ainsi, les treize engagés du huyên de Nga Son quittent leur village en chantant « La Marseillaise Locale » dont une strophe assure « Annamites, hommes de vaillance - Si vous voulez de bonne heure obtenir du mérite - Frappez d'estoc et de taille furieusement les loups animés de sentiments de monstres » (c'est-à-dire l'ennemi).
Tirailleurs annamites
A la fin du conseil de révision, les conscrits aptes à être incorporés reçoivent à même la poitrine un signe tracé avec un pinceau enduit de nitrate d'argent. Dès lors, ils se promènent fièrement le « cai ao » déboutonné afin d'exhiber cette marque. Ensuite, ils se rendent dans un des cinq dépôts établis dans la péninsule où, encadrés par des gradés de la Garde Indigène, ils sont instruits durant trois mois avant d'être embarqués. En les voyant partir, beaucoup d'habitants de l'Union pensent que la France doit être en bien mauvaise posture pour faire ainsi appel à des Asiatiques après avoir engagé dans le conflit des Africains et des Maghrébins.
Pour favoriser le recrutement, des films de propagande montrant la vie fastueuse menée par les volontaires en France sont projetés dans les villages. Le 10 septembre 1917 à Hanoï devant le gouverneur général Sarraut une pièce de théâtre intitulée « La patrie avant la famille » est jouée. Un tel titre offusque évidemment les habitants élevés dans le culte du Hiêu, la piété filiale. Enfin, sur tous les murs des villes les autorités font apposer une affiche représentant un tirailleur souriant indiquant du doigt à un « nhà quê » accroupi à ses pieds la liste des avantages financiers réservés aux nouvelles recrues.
Les recrues
La traversée Elle est toujours pénible et souvent très dangereuse. Les itinéraires adoptés pour rejoindre l'Europe ne sont pas les plus directs. Ainsi, les 1er et 2ème BTI (Bataillon de Tirailleurs Indochinois) sont débarqués à Djibouti où ils stationnent quelques semaines. Le 3ème BTI fait une longue escale à Madagascar. Les formations mettent en moyenne de 30 à 50 jours pour rallier Marseille. Toutefois, le 13ème BTI parti de Haïphong le 29 mars 1916 n'aborde les côtes de Provence que le 3 juillet après 102 jours de voyage. Ayant pris place sur un vieux transport, le " Peï Ho ", les Indochinois de ce bataillon couchent dans des cales surchauffées, les cuisines et les latrines étant insuffisantes. Atteints d'oreillons puis de choléra, les tirailleurs ont enregistré 128 décès et 127 malades ont été soignés en Égypte au Lazaret de Thor. Fréquemment, du fait de leur débarquement pour hospitalisation au cours de la traversée, certains militaires de l'Union sont séparés de leurs compatriotes. Ainsi sur le " Porthos ", le 9 septembre 1918, un seul Tonkinois voyage avec 67 Français et 2.020 ouvriers chinois. Enfin, plusieurs navires partis de Saïgon sont torpillés, tels l'" Athos " et l'" Amiral Olry ".
Les Bataillons de Tirailleurs Indochinois
A leur arrivée en France, toutes les unités sont classées en formations d'étapes non combattantes. Ce statut évolue au fil du temps.
L'armée d'Orient Dès le mois de novembre 1916, le 1er BTI est engagé sur ce front lointain, suivi en août 1917 par le 2ème BTI. Ils y affrontent des troupes autrichiennes et bulgares voire des bandits albanais.
Le 1er BTI relevant de la 137ème DI combat avec le 175ème RI et le 2ème BCP dans le secteur des lacs Malick et Okrida. Le sergent Nguyên Van Khuu défend avec 3 tirailleurs une position en dépit de plusieurs blessures. Le 2ème BTI se signale à Veliterna et à la cote 1 650, puis lors de l'offensive victorieuse de septembre 1918 vers Prilep et Uskub. Au cours de ces combats il déplore 23 tirailleurs tués, 41 blessés et 10 disparus : ses hommes se voient décerner deux médailles militaires et 144 croix de guerre.
Pour récompenser l'allant de ces deux corps, le commandement les autorise à prendre l'appellation de Bataillon de Marche Indochinois. Les poilus de l'armée d'Orient se délectent d'une anecdote savoureuse à leur sujet. Une nuit, un tirailleur tonkinois de faction arrête la voiture du Prince Alexandre, commandant l'armée serbe. Péremptoirement il demande « Gna le mot ». Or, l'entourage princier ignore la consigne et s'en explique auprès de la sentinelle. Celle-ci cependant continue à barrer la route avec un sonore « Không biêt » ("je ne comprends pas"). Il faudra l'intervention d'un officier pour que le convoi puisse poursuivre sa route.
Le front européen Le 28 août 1916, sur ordre du général Guyot de Salins commandant la 38ème DI et ayant longtemps servi dans la péninsule, la 4ème compagnie du 6ème BTI (bataillon non combattant) se rassemble à Stainville (Meuse). Le 24 octobre suivant, elle participe dans les rangs du 8ème RTA à la reprise du fort de Douaumont. En allant occuper ses positions la veille de l'assaut, elle subit un violent bombardement ; son capitaine et 3 tirailleurs sont tués. Pour atteindre l'objectif fixé, la compagnie progresse par bonds sous les obus. Au cours de l'attaque, elle a pour mission de ravitailler les premières lignes en munitions d'infanterie en accompagnant au plus près les troupes de choc. A 11 heures le lendemain, les attaquants sortent des tranchées après un tir de soutien d'artillerie exécuté par 800 canons. Dans le brouillard, avançant dans des boyaux très étroits, les hommes du 6ème BTI marchent courageusement vers l'ennemi. Ils arrivent ainsi aux carrières d'Haudremont où ils s'installent dans les positions allemandes conquises. Relevés le soir même, les Indochinois comptent 13 tués, 20 blessés et 12 disparus. Le sergent Tran Tai Tao et le tirailleur Nguyên Van Dong sont alors décorés de la médaille militaire. Il en est de même un peu plus tard pour le sergent Nguyên Van Dang ; ayant perdu la vue, il a refusé de quitter ses camarades.
Il est regrettable que la plaque apposée en 1962 à l'entrée du fort de Douaumont ne mentionne pas l'action de la 4ème compagnie ainsi qu'elle le fait pour les autres unités ayant participé à la reprise de la position. Quelques restes mortels d'Indochinois de ce bataillon se trouvent à l'Ossuaire de Douaumont où ils ont été ensevelis par erreur en tant que musulmans. Pourtant, une circulaire en date du 15 juin 1916 prescrit que les cadavres des Asiatiques décédés doivent être inhumés « dans un suaire blanc, ongles coupés, sans objet métallique dans leurs vêtements, coiffés d'un turban blanc si leurs parents sont encore vivants, bras non croisés et allongés le long du corps ». Le même document comporte un dessin de la pierre tombale ornée d'un symbole taoïste à ériger.
Le 7ème BTI rejoint la zone des armées en avril 1917. Ses unités élémentaires sont réparties entre les 54ème, 67ème et 350ème RI de la 12ème DI. Le corps participe à la bataille de l'Aisne en 1917 au nord de Soupir. En trois jours, il accuse 21 tués, 95 blessés et 67 disparus. Au cours des combats, le tirailleur Ngo Dinh Phu abat 2 adversaires et capture 16 ennemis qu'il conduit fièrement à son capitaine. Ensuite, le bataillon occupe des positions dans les Vosges puis dans le secteur de Reims ; l'armistice le trouve près de Gérardmer. En deux ans, les militaires du 7ème BTI ont reçu 97 croix de guerre. Le 22 novembre 1919, la formation entre solennellement dans Strasbourg avec les troupes du général Gouraud.
Le 21ème BTI monte en ligne le 14 juillet 1917 non loin de Saint-Dié. L'année suivante, il défend des tranchées dans les Vosges puis près de Reims au mois d'août. Là, il repousse deux coups de main et sa 4ème compagnie est citée à l'ordre de la division « pour avoir résisté à deux violentes attaques malgré les toxiques répandus par l'adversaire qui ont conduit à l'évacuation du tiers de ses effectifs ». Le 21ème BTI déplore, le 11 novembre 1918, 20 tués et 50 blessés ; ses tirailleurs ont mérité deux médailles militaires et 143 citations à divers ordres. Parmi les hommes récompensés figure le caporal Tran Huu Can qui, atteint de trois balles, a continué la lutte.
Au cours de ces sanglants combats, les unités indochinoises trop souvent fractionnées ne déméritent aucunement. Elles obtiennent onze médailles militaires et 555 croix de guerre. Les poilus remarquent les qualités de guetteur et le sens de l'organisation du terrain des Asiatiques. Ils les estiment « impassibles sous les obus, sérieux, froids, sans nerfs ». En 1917, le chef de corps du 67ème RI écrit d'eux : « Ils ont été réellement très bien, allant toujours de l'avant ». La même année, un général décrit « les tirailleurs indochinois dans les tranchées et occupant à leurs moments de repos les abris. Ils y écrivent à leurs familles ou lisent des bouquins en caractères chinois avec autant de tranquillité que s'ils se trouvaient au bord d'un paisible arroyo ».
Les bataillons d'étapes La péninsule étant considérée par l'état major comme un réservoir de main d'oeuvre plus que de combattants, 15 formations de ce type vont être mises sur pied. Certaines doivent effectuer une tâche pénible et insalubre dans les poudreries et les usines d'armement. Estimés plus dociles que les ouvriers européens, les Indochinois servent de cobayes au système Taylor instauré dans ces établissements. Les syndicats les jugent indignes d'être considérés comme des ouvriers à part entière car ils refusent de se mettre en grève et effectuent volontiers des heures supplémentaires pour percevoir des primes. Ainsi à la poudrerie de Bergerac ils assument 70% de la production alors qu'ils ne représentent que 50% des effectifs. Mêlés à leurs compatriotes ONS, ils entretiennent des relations cordiales voire affectueuses avec le personnel féminin. Dans les parcs d'aviation ils se montrent habiles mécaniciens et dans les gares régulatrices ils se révèlent rapidement aptes à assurer les fonctions d'aiguilleurs.
D'autres unités d'étapes entretiennent les voies de communications, comme les 3ème et 9ème Compagnies du 9ème BTI transformées en 53ème et 54ème Batteries de construction de voies de 0 mètre 60. Le 16ème BTI a pour mission de ravitailler les positions d'artillerie en obus ; le 11 avril 1917, pris sous un bombardement à la gare de Froissy, il déplore trois tués alors que cinq de ses hommes tombent l'année suivante. Les 17ème et 23ème BTI exploitent des carrières et le 11ème édifie des pistes d'aviation. Des compagnies sont détachées aux Services du Génie français et américain.
En 1917, les BTI versent 5.000 hommes au service automobile. Ayant appris à conduire en moins d'une semaine, ces militaires constituent des sections de transport de matériel où ils vont rendre de grands services. Au printemps 1918, les conducteurs de la Réserve Automobile n°1 dont les deux tiers sont originaires de la péninsule, ne dormant que quelques heures, transportent en urgence les renforts au front. Celui-ci étant mouvant, certains chauffeurs indochinois sont pris sous des tirs d'artillerie voire dans des combats d'infanterie. Ils entrent parfois en contact avec leurs homologues siamois.
Leurs supérieurs estiment qu'entretenant mieux leurs véhicules que leurs camarades français, ils évitent 25% des réparations constatées sur les autres camions. Cette appréciation n'est pas celle de la revue « Le Volant » qui le 12 janvier 1918 imprime: « L'Annamite ne connaît qu'une chose : la vitesse ; plus son moteur tourne et ronfle, plus il juge que tout va bien ». Un de leurs chefs dénonce également « leur propension à entasser dans leurs véhicules un trop volumineux matériel de récupération réservé à leur confort personnel, certaines plates-formes étant transformées en chambres à coucher richement meublées ».
Les médecins, les infirmiers, les aviateurs Quelques médecins indochinois rejoignent volontairement au cours du conflit leurs confrères citoyens français qui seront évoqués dans un autre paragraphe. Ainsi, le 10ème BTI, l'hôpital Saint-Louis de Marseille et celui de Caudéran près de Bordeaux disposent de praticiens auxiliaires annamites. Le docteur Thai Van Du est affecté depuis juin 1916 à l'hôpital 224 de Marseille. Épuisé, il est rapatrié et meurt peu après son arrivée le 12 novembre 1918. Son supérieur, le médecin colonel Le Bail et monsieur et madame Buonfils qui le considèrent comme leur fils adoptif font alors déposer une plaque commémorative au cimetière de Hué.
Les infirmiers, au nombre de 9.000, sont sommairement instruits. La majorité d'entre eux sert dans les établissements de l'arrière tandis que d'autres sont brancardiers sur le champ de bataille. C'est notamment le cas des tirailleurs Nguyên Van Bac et Nguyên Ba Con qui sont cités à l'ordre du Corps d'Armée Colonial. A plusieurs reprises, les compagnies du 21ème BTI participent aux offensives pour ramasser les blessés. Dans les hôpitaux militaires, l'impassibilité devant la douleur dont les Asiatiques font montre provoque parfois la fureur des poilus. L'un d'eux à l'hôpital 18 de Bordeaux décrit « le sinistre petit Chinois qui fait tout de travers et ne parle pas un mot de français ».
Imitant leur célèbre compatriote, le capitaine Do Huu Vi, quelques Indochinois pilotent des avions. Le maréchal des logis Phan That Tao et le sergent Cao Dac Minh sont de ceux là. Ce dernier, après un séjour au front se tue lors d'un accident à Cholon le 28 avril 1918. Le caporal mitrailleur Félix Xuân Nha de l'Escadrille A 253 est abattu en 1917 après avoir défendu son avion assailli par quatre appareils ennemis.
Les Indochinois face à la modernité A leur arrivée en Métropole, les tirailleurs éveillent la curiosité avec leurs salaccos en latanier, leurs chignons, leurs dents laquées de noir et les baguettes dont ils se servent pour manger. Jusqu'en 1917, ils sont accueillis avec bienveillance et des liens amicaux s'établissent avec les métropolitains. Les archives ne rapportent qu'un seul incident : dans la Somme, des tirailleurs qui se baignent tout nus dans le lavoir d'un village sont verbalisés par la prévôté pour attentat à la pudeur. Cet événement est relaté par le journal de la péninsule l'Opinion .
Les gradés européens des BTI, lorsqu'ils n'ont pas servi en Indochine, notent « qu'il est difficile de se rendre compte du moral des Annamites qui sont très renfermés et ne s'ouvrent pas à leurs supérieurs ». Un officier du 12ème BTI estime toutefois que ses hommes sont « de braves gens très dévoués » alors qu'un autre rend compte que ses tirailleurs parlent trois langues : le Cuôc Ngu (sic), le Nôm (1) et le Chinois mais nullement le français. Certains sous-officiers surnomment les originaires de la péninsule « les Aztèques ». Le commandement fait le nécessaire afin que les Asiatiques ne soient pas confrontés à de trop importants problèmes d'acclimatation. Ils reçoivent des vêtements chauds et des produits de leur contrée tels que bétel, noix d'arec, piments ; une usine de nuoc mam fonctionne en métropole. Le général Claudel rédige lui-même une notice pour cuire le riz à l'annamite et fait doter le 21ème Bataillon en 1917 d'un « cai quan » (pantalon) sans bouton. et le Chinois mais nullement le français.
En théorie, les Indochinois peuvent bénéficier de permissions à passer à Narbonne et Perpignan et en cas de blessure ou de maladie certains hôpitaux tel celui de Marseille leur sont réservés. Les tirailleurs sont soumis à une stricte surveillance par la 8ème direction du Ministère de la Guerre et dès le 1er janvier 1916 leur courrier est astreint à la censure de lecteurs que les Annamites nomment les « mandarins de la casserole ». En particulier, les clichés obscènes ou licencieux envoyés aux familles de même que les photographies montrant un Asiatique se faisant cirer les souliers par un Français sont confisqués.
De leur côté, dès leur débarquement à Ma Sây (Marseille), les tirailleurs observent la métropole et ses habitants avec acuité. Ils écrivent que ces derniers « sont très différents des Français d'Indochine et qu'ils peuvent être aussi bien mandarins que coolies ». Ils sont choqués de voir des vieillards mendier et l'un d'eux déclare : « Chez nous les gendarmes font les grands messieurs, ici ils sont considérés comme des chiens ». Ils estiment que les immeubles de Paris sont plus grands que la "cai nha go da" (Godard, les magasins réunis) de Hanoï. Les machines agricoles sont comparées à des démons malicieux et les écoles nombreuses ainsi que les bureaux de poste tous dotés de "fil tac tac" (téléphone) entraînent l'admiration. Le fait de pouvoir fréquenter les métropolitains et leur parler est fort apprécié.
Confrontés à la diversité des populations transplantées par la guerre, les Indochinois détestent les Chinois avec qui ils sont souvent embarqués. Des rixes éclatent entre eux à bord des navires et à la base de Port Saïd. Les Maghrébins leur font peur étant données leurs méthodes de combat alors que les Malgaches sont bien tolérés. En revanche, les Sénégalais et les Somalis sont peu appréciés et un affrontement avec les premiers à Pau en 1918 se solde par 16 morts pour les deux camps. L'entente n'est pas non plus parfaite entre les Cochinchinois et les Tonkinois, ces derniers accusant les premiers d'accaparer les meilleures places dans les bataillons.
Le déroulement de la guerre fait l'objet de conversations et de missives. L'opinion générale est que la France va gagner mais avec le concours de nombreux autres peuples dont les Indochinois. Ceux-ci parlent des péripéties du conflit comme si c'étaient celles d'une pièce de théâtre annamite. Une lettre affirme : « La guerre se déroule comme dans nos légendes avec des hommes qui volent dans les airs et d'autres qui plongent sous l'eau ». Un sergent du 6ème BTI déclare étrangement : « Ici, à Verdun nous nous amusons et faisons la guerre ». Le vocabulaire utilisé pour décrire les matériels en service est très imagé, les tirailleurs parlent de "Ba Lôn Tchô Tchich" (ballons saucisses), d'obus avec un picul (2) de poudre, de voiture "To Lo Bil" ou de "Xe O To" (auto). Toutefois les événements survenus dans la péninsule et en particulier ceux de Thaï Nguyên et de Binh Liêu les affectent plus que ceux du front français.
Tout d'abord bien accueillis par les poilus et les populations civiles de l'arrière, les Indochinois à partir du printemps 1917 vont être l'objet de mesures d'exclusion et devoir affronter un climat d'hostilité voire de haine. En effet, l'état major pour briser les grèves a fait appel à des bataillons d'étapes peu formés pour une telle mission. Dès lors, les tirailleurs sont qualifiés de « jaunes » (opposants à la grève) par les ouvriers. Fait plus grave, le 18ème BTI basé en région parisienne assure la garde de la prison de Fresnes, de l'aérodrome du Bourget et des usines d'Ivry. Il y est confronté à des rassemblements de grévistes où des femmes demandent le retour des combattants. Le corps doit s'opposer à ces manifestations notamment à Saint-Ouen et boulevard Bessières. Un peu plus tard, une sentinelle asiatique respectant ses consignes abat une jeune fille qui n'avait pas obéi à ses sommations.
Rapidement dans la zone des armées, une rumeur tenace et infondée accuse les Indochinois d'avoir tiré sur les épouses des poilus et d'en avoir violé certaines. Le 2 juillet 1917, au Palais Bourbon, un ministre évoque devant les députés, les « Annamites mitrailleurs qui restent avec les Sénégalais le plus sûr garant du maintien de l'ordre dans les villes ». Toutes les enquêtes effectuées sur les causes des mutineries de 1917 font état « de l'action des jaunes contre les populations civiles ». C'est notamment le cas aux 17ème, 23ème, 129ème et 133ème RI où les militaires affirment qu'à Saint-Denis les tirailleurs indochinois ont fait usage de mitrailleuses contre les épouses des combattants et ont abusé d'elles.
Dès lors, des représailles sont exercées contre les originaires de la péninsule. Ils sont insultés et battus à Douaumont par des troupes qui redescendent du front. Un tirailleur est abattu à Nixéville (Meuse). A Angoulême, la foule envahit le cantonnement des Indochinois et à Bergerac la population lâche des chiens contre eux. A Bourges, Tarbes et Toulouse, les habitants les accusent de prendre la place d'ouvriers qui sont ainsi obligés d'aller combattre. En réalité, le seul grief valable pouvant être opposé aux tirailleurs et à leurs compatriotes ouvriers consiste en leurs relations intimes avec les femmes et les filles de poilus. Un sous-officier tonkinois écrit cyniquement : « Non seulement nous défendons la France mais nous la repeuplons ». En effet, soixante Eurasiens naissent en 1918 à Saint-Médard-en-Jalles. De tels faits ne peuvent qu'entraîner l'indignation des combattants venant en permission. Philosophiquement un Indochinois écrit alors : « N'est-il pas étrange qu'un peuple si éclairé et si digne d'être le précepteur du monde devienne stupide au point de ne pas s'apercevoir qu'il dit des bêtises ? »
Les citoyens français d'origine annamite et les Indochinois résidant en métropole Dans la péninsule et surtout en Cochinchine, les hommes jouissant de la nationalité française s'engagent en nombre. Tels leur compatriote, le capitaine Do Huu Vi, ils réclament « le droit de se battre deux fois plus que les autres citoyens car ils sont à la fois Annamites et Français ». Ils désirent ardemment rejoindre les six officiers d'active d'origine vietnamienne ou khmère servant déjà dans l'armée française. Le docteur Lê Quang Trinh, diplômé de la Faculté de Montpellier en médecine, pharmacie et agronomie, naturalisé français en 1911 et volontaire en août 1914, accompagne tout d'abord la colonne Friquegnon dans le Haut-Laos puis en 1917 rejoint le front français. Lors de la traversée, l'" Athos " sur lequel il s'est embarqué est torpillé en Méditerranée. Promu au grade de médecin lieutenant, il sert successivement aux 22ème, 24ème, 18ème BTI puis au 2ème BCP et au 47ème RI. II est cité le 4 juillet 1918.
L'ingénieur Luu Van Lang devient officier d'artillerie et commande une batterie en 1918. Le soldat Long Vo Thanh venu de la péninsule est blessé et cité à l'ordre de la 31ème Brigade Coloniale. L'ingénieur agronome Can Van Tran est tué et le commis greffier Truong Vinh Truong grièvement atteint. Le caporal Bertrand Can qui a rejoint la France le 30 mars 1915 avec un groupe de quatre-vingts volontaires est affecté au 23ème RIC. Le 4 octobre suivant lors de l'attaque de la Chenille de la Main de Massiges une grenade allemande lui arrache une main : il reçoit alors la médaille militaire et la croix de guerre avec palme. Le Cambodgien Khim Tit réformé une première fois en 1916 réussit à gagner plus tard la métropole avec le magistrat annamite Tran Van Thy. Au Laos, les deux fils Ngin dont le père a été l'interprète de Pavie sont également volontaires. Nguyên Van Laï dit Kone Nicolas est incorporé à la Légion Étrangère en 1915 de même que le Chinois Ma Yu Pao ancien élève d'une école française du Yunnan. En 1917 ce dernier est blessé une première fois puis il tombe au sud d'Amiens le 2 septembre 1918.
Dans la péninsule, le Service de la Protection de l'Enfance incite les Eurasiens à s'enrôler en veillant toutefois « à ce qu'ils présentent des caractéristiques physiques françaises ». Parfois incorporés très jeunes, ils sont nombreux aux 141ème et 408ème RI. L'un d'eux, Mai Tam Maurice, est décoré de la médaille militaire et de la croix de guerre avec palme pour son courage.
Au début du conflit, quelques centaines d'Indochinois parmi lesquels des étudiants boursiers vivent en France ou en Algérie. Bien que simples « sujets ou protégés français », ils se présentent aux bureaux de recrutement et beaucoup sont admis dans les corps de troupe métropolitains puis dans les BTI. C'est notamment le cas des Princes khmers Pinoret et Watchayavong et du Tonkinois Nguyên Ba Luan. Ces derniers sont rejoints par des élèves de l'École Nationale des Arts et Métiers d'Aix-en-Provence et d'Angers et de l'École professionnelle de Vierzon. Il en est de même pour le docteur Lê Van Tinh, interne à l'hôpital de la Salpêtrière à Paris, futur président de la République Cochinchinoise en 1946 et titulaire de la croix de guerre avec une citation à l'ordre du corps d'armée. Le répétiteur de l'École des Langues Orientales Cao Dac Minh n'a de cesse d'être incorporé à l'École d'Acrobatie Aérienne de Pau car il a le désir « d'abattre au moins un avion ennemi ». Le premier Indochinois à combattre est le jeune Trân Thanh Can qui suit les cours de l'École Supérieure d'Agriculture Coloniale de Nogent-sur-Marne. Dès le 25 août 1914 il s'engage dans les rangs du 112ème RI de Toulon. Il affirme alors à ses chefs :« Je veux avoir ma part dans le combat en cours » puis gagne le front le 12 septembre suivant. Le 20 janvier 1915, il est cité à l'ordre de l'armée « pour avoir soigné sous une grêle de balles ennemies plusieurs blessés lors d'un assaut ». Plus tard, il précise à ses parents habitant Cholon que cette affaire a coûté 300 hommes à son bataillon.
Les rapatriements En théorie, ceux-ci respectent l'ordre de numération des bataillons, hormis pour le 3ème BTI qui formé de Cochinchinois, embarque en priorité. L'opération va s'échelonner jusqu'en 1920. Entre temps, les tirailleurs sont affectés aux zones dévastées dites aussi zones rouges dans les départements précédemment envahis. Ils ont pour mission de nettoyer le champ de bataille, de neutraliser les projectiles non éclatés et d'enterrer les morts. Ils accomplissent cette tâche pénible et dangereuse dans les pires conditions matérielles, mêlés à leurs compatriotes ONS et aussi très souvent à des prisonniers de guerre et à des Chinois.
Lorsqu'ils débarquent enfin dans les ports de la péninsule, les militaires indochinois reçoivent une brochure imprimée par les établissements Mac Dinh Tu de Hanoi en 1919, qui leur précise leurs droits. En outre, par province, un comité d'assistance a pris la suite de celui chargé de leur envoyer des colis durant les hostilités. Très rapidement, cependant, l'indifférence voire l'agacement vont prévaloir envers les turbulents « retours de France » comme on les nomme. Ces derniers en effet récusent les autorités traditionnelles et désirent traiter directement avec l'administration coloniale dont ils parlent la langue après avoir suivi en métropole les cours de la Mission Laïque française. Certains reçoivent des parts de rizières dans un village qui leur est réservé en bordure du canal de Bach Ghia dans la province de Thaï Nguyên, d'autres perçoivent une prime qui leur permet de s'installer en tant qu'artisan ou fermier. Les démobilisés originaires de l'Annam et du Tonkin sont honorés par un grade mandarinal parmi les neuf classes et les deux degrés de cet ordre. Les Cochinchinois se voient attribuer un droit de préséance lors des cérémonies rituelles. Les Khmers sont décorés des distinctions royales de leur pays tels que la médaille du Muniseraphon.
Cependant, en dépit de ces marques d'attention, l'amertume des libérés reste grande. En effet, les mutilés, les blessés, les décorés de la médaille militaire et de la croix de guerre qui ont demandé la nationalité française se la voient refuser dans la plupart des cas. Pourtant, à deux reprises différentes, le gouverneur général Sarraut au conseil général du gouvernement et à la pagode Van Mieu de Hanoï avait laissé clairement entrevoir une telle possibilité. Or, de 1919 à 1923, seuls soixante-treize anciens combattants obtiennent la citoyenneté française. Dès lors, ils se plaignent de cette parcimonie au Maréchal Joffre lorsqu'il vient en Indochine au cours de l'année 1922. Ils accueillent le « chef aux gros sourcils » ainsi qu'ils le nomment, à Ba Dinh sur la route de Vinh à Hanoï. Parmi eux, 220 arborent la croix de guerre gagnée sur les champs de bataille de Pha Lang Xa (France). Ils évoquent auprès de lui le souvenir de "Ông Ga", le général Gallieni, et celui de "Ong Pen I Tie", le général Pennequin.
Certes, l'apport de 5.000 combattants et de 38.000 tirailleurs accomplissant des tâches logistiques au sein d'une armée française de 5.500.000 mobilisés peut paraître minime. Toutefois, confrontés à une civilisation très différente de la leur, acteurs ou témoins d'événements sanglants, et évoluant à partir de 1917 dans un climat hostile, les Indochinois de 1916 à 1918 ont fait front avec abnégation et courage. Le livre d'or que le gouvernement général d'Indochine avait promis de leur consacrer n'a jamais vu le jour. Mais leurs tombes, telles celles de l'ossuaire de Douaumont ou des cimetières de Géré et d'Udonista (Albanie), attestent leurs sacrifices au cours de la grande guerre.