Eugene Jacques (James) Bullard (9 octobre 1895, Colombus, Géorgie, États Unis d'Amérique - 12 octobre 1961, New York, É-U.) est, avec le Turc Ahmet Ali Celikten, l'un des deux premiers pilotes de chasse noirs de l'histoire et le seul aviateur noir ayant combattu durant la Première Guerre mondiale dans les forces alliées.
Jeunesse Son père, William O. Bullard, surnommé Big Chief Ox, est d'origine martiniquaise, né esclave. Sa mère, Josephine Thomas aurait des ancêtres de la tribu Creek. Son grand-père paternel est né sur la propriété de Wiley Bullard, un planteur du comté de Stewart. William et Josephine se sont mariés dans le comté de Stewart en 1882 et Eugene est le septième de leurs dix enfants. Dans les années 1890, William Bullard, emménage à Columbus, où il travaille pour W. C. Bradley, un marchand de coton. Il reçoit une éducation élémentaire, mais décisive pour son avenir.
Afin d'échapper aux discriminations raciales (il racontera plus tard avoir été, enfant, témoin d'une tentative de lynchage de son père), Eugene quitte le foyer familial vers l'âge de huit ans avec l'intention d'aller en France, car son père lui aurait dit qu'« un homme y était jugé par son mérite et non pas par la couleur de sa peau ». Il passe deux années d'errance avec des gens du voyage, avec lesquels il apprend l'équitation.
En 1911, il se stabilise à Dawson chez la famille Zachariah Turner, pour lesquels il est garçon d'écurie puis jockey. En 1912, Bullard embarque depuis Norfolk en Virginie à bord d'un bateau à vapeur allemand pour l'Écosse.
De 1912 à 1914, au Royaume-Uni, il travaille comme cible vivante dans une foire de Liverpool et prend des cours de boxe. Il combat à Londres et s'engage parallèlement dans la troupe de vaudeville de l'Afro-Américaine Belle Davis. En 1913, il dispute un match à l’Elysée Montmartre. C'est à l'occasion de ce voyage à Paris en 1913 qu'il décide d'y vivre.
Première Guerre mondiale Photographie prise entre le 27 août et le 13 septembre 1917 d'Eugene Bullard servant alors dans l'escadrille Spad 93. Le 19 octobre 1914, en se vieillissant d'un an (déclarant qu'il était né en 1894 au lieu de 1895) il s'engage dans la Légion étrangère française pour participer à la Première Guerre mondiale. Matricule 19/33.717, il est affecté au troisième régiment de marche du 1er RE, et est aussitôt envoyé dans la zone de combats. Le 13 juillet 1915, il rejoint le deuxième régiment de marche du 1er RE puis le 170e régiment d'infanterie française surnommé plus tard les "hirondelles noires de la mort". Compagnon d'armes de Moïse Kisling et de Blaise Cendrars, il participe aux combats sur la Somme, en Champagne et à Verdun où il est grièvement blessé à la cuisse le 5 mars 1916.
En convalescence à Lyon, protégé par la famille Nesme, il est cité à l’ordre du régiment le 3 juillet 1917, et se voit décerner la croix de guerre.
Bullard, déclaré inapte pour l'infanterie, mais désireux de continuer à se battre, est admis le 2 octobre 1917 dans l'aéronautique française par le lieutenant colonel Adolphe Girod responsable des écoles de l'aviation.
Après un stage de mitrailleur à Cazaux, il obtient d'être nommé élève-pilote. Il est formé sur Caudron G.3 et Caudron G.4 aux écoles de Dijon, Tours, Châteauroux et Avord. Plus tard, il est affecté au 5e groupe de Chasse, à l’escadrille N 93, puis à l'escadrille N 85, dans l'armée de l'air française qui utilise des SPAD S.VII et Nieuport. Il effectue une vingtaine de missions aériennes et devient ainsi, avec le Turc Ahmet Ali Celikten, l'un des deux premiers pilotes de chasse noirs de l'histoire. Il vole avec sa mascotte, son singe «Jimmy». Il réussit à abattre deux appareils ennemis1. La devise inscrite sur le fuselage de son avion était all blood runs red (« tout sang coule rouge »).
En août 1917, lors de l'entrée en guerre des États-Unis, l'United States Army Air Service recrute les Américains servant dans le Lafayette Fying Corps. Bullard est refusé à cause de sa couleur de peau.
Sous le prétexte d'une bagarre avec un adjudant français qui l'avait insulté lors d'un retour de permission, Bullard est déclaré le16 novembre 1917 médicalement inapte au vol, sous la pression d'Edmund Gros un médecin américain raciste chargé d'organiser l'aéronautique américaine en liaison avec Pershing. Le 11 janvier 1918, il est réaffecté au 170e régiment d'infanterie française, et sert au camp de La Fontaine du Berger près d'Orcines, dans le Puy-de-Dôme jusqu'à l'armistice de 1918. Démobilisé, il se fixe à Paris.
Musicien et directeur de cabaret dans l'entre-deux-guerres Après la guerre, Bullard, élève de Louis Mitchell, devient batteur de jazz dans des nightclubs de Pigalle. D'abord chargé d'animer le cabaret de Joe Zelli, rue Fontaine, il reprend ensuite Le Grand Duc, 52 rue Jean-Baptiste-Pigalle à l'angle des rues Fontaine et Pigalle. Il y travaille avec les chanteuses Florence Embry Jones puis Ada "Brickop" Smith. Le succès de ce cabaret, qu'il revend au début des années trente, pour ouvri un bar, L'Escadrille, 15 rue Fontaine, fait de lui l'une des figures majeures du jazz et des nuits parisiennes de l'entre-deux-guerres.
Bullard créé également un gymnase 15 rue Mansart.
Il se marie le 17 juillet 1923 avec Marcelle Straumann, qu'il présentera dans ses mémoires comme une aristocrate, en réalité une modeste fille d'un employé de commerce alsacien. Ensemble, ils auront deux filles, Jacqueline et Lolita, et un garçon, mort en bas âge d'une double pneumonie. Le 5 décembre 1935, ils divorcent, Marcelle ayant abandonné le domicile conjugal sans laisser d'adresse. Bullard obtient la garde de ses deux filles. Son activité dans les night-clubs lui donne l'occasion de se faire des amis célèbres, parmi les lesquels Joséphine Baker, Louis Armstrong ou Langston Hughes.
Peu après sa démobilisation, Bullard est en butte à de nombreuses attaques racistes de la communauté américaine de Paris qui ne lui pardonne pas d'avoir été pilote de chasse. Plusieurs articles diffamatoires sont publiés contre lui. Il est également victime de plusieurs agressions verbales ou physiques (dont il sort victorieux).
En 1928, le Mémorial La Fayette est inauguré à Marnes-la-Coquette par Edmund Gros qui projette de faire graver les noms des pilotes du La Fayette Flying Corps à l'exception de celui de Bullard, provoquant un tollé parmi les anciens pilotes américains, compagnons d'armes de Bullard. Finalement, seuls les noms des aviateurs morts au combat seront inscrits sur le monument.
Agent du contre-espionnage et combattant volontaire de la Seconde Guerre mondiale En 1939, au commencement de la Seconde Guerre mondiale, Bullard, qui parle allemand, est recruté par l'inspecteur Georges Leplanquais, du service de contre-espionnage de la Préfecture de police, pour surveiller les agents allemands fréquentant son bar parisien L'Escadrille en équipe avec une jeune femme qui se fait appeler Cleopâtre Terrier.
Après l'invasion de la France par l'Allemagne nazie, en 1940, Bullard marche à la rencontre de l'ennemi. Incorporé comme mitrailleur dans le 51e régiment d'infanterie a Orléans, il participe le 15 juin 1940 aux combats pour défendre la ville. Blessé le 18 juin 1940 dans l'Indre (Le Blanc) à la colonne vertébrale, il est exfiltré en Espagne. En juillet 1940, il est évacué aux États-Unis.
Après la Seconde Guerre mondiale Une fois ses filles exfiltrées à leur tour, grâce à l'intervention de l'ancien ambassadeur à Paris Bullitt Bullard est hospitalisé quelque temps à New York, pour soigner sa blessure. Affrontant de nouveau la ségrégation, Bullard, dont les exploits sont ignorés ou minimisés, devient un ardent militant de la France Libre à travers l'organisation gaulliste France Forever.
Il exerce différentes activités professionnelles : vendeur en parfumerie, gardien de sécurité, manutentionnaire, interprète de Louis Armstrong. Mais les séquelles de sa blessure dorsale restreignent ses activités. Il tente vainement de remonter un nightclub à Paris. Il perçoit une indemnité de la part du gouvernement français, ce qui lui permet d'acquérir un appartement dans le quartier de Harlem à New York.
Le 4 septembre 1949, à Peekskill, près de New York, Bullard assiste à un concert organisé par l'artiste militant Paul Robeson au bénéfice du Civil Rights Congress , mouvement pour la défense des droits civiques des minorités raciales. Des membres de partis d'extrême-droite attaquent les spectateurs, et une caméra d'actualités filme ce qui sera appelé Peekskill Riots : on voit longuement dans le film Bullard battu par 2 agents de police, un militaire et un civil. La bande filmée fut largement diffusée, mais aucune poursuite ne fut exercée contre les extrémistes. Ces images figureront dans le documentaire Paul Robeson - Tribute to an Artist de Sidney Poitier.
Bullard battu.. Durant les années 1950, Bullard est comme un étranger dans son propre pays natal. Ses filles sont mariées, et il vit seul dans son appartement, lequel est décoré de photos des célébrités qu'il a connues. Une boîte encadrée contient ses quinze médailles de guerre françaises. Son dernier emploi est opérateur d'ascenseur au Rockfeller Center.
En 1954, le gouvernement français invite Bullard à Paris pour ranimer, avec deux français, la flamme de la tombe du soldat inconnu sous l'Arc de triomphe de l'Étoile. En 1959, il est fait Chevalier de la Légion d'honneur par le général Charles de Gaulle qui le qualifie de véritable héros français. Malgré cela, il passe les dernières années de sa vie dans un relatif anonymat et dans la pauvreté à New York où il meurt d'un cancer de l'estomac, le 12 octobre 1961. Il est enterré dans son uniforme de légionnaire, avec tous les honneurs militaires par des officiers français dans la section des vétérans de la guerre française du cimetière de Flushing, dans le Queens.
En 1972, ses exploits comme pilote de combat sont publiés dans le livre The Black Swallow of Death: The Incredible Story of Eugene Jacques Bullard, The World's First Black Combat Aviator (L'incroyable histoire d'Eugene Jacques Bullard, le premier noir aviateur de combat) écrit par P.J. Carisella, James W. Ryan and Edward W. Brooke (Marlborough House, 1972). Ce livre, dont la jaquette est réalisée par le célèbre illustrateur américain de la Première Guerre mondiale George Evans, fait partie des objets conservés sur Bullard au National Museum of the United States Air Force près de Dayton, dans l'Ohio. Inspiré par les mémoires non publiés de Bullard, il contient malheureusement de nombreuses erreurs historiques, en partie inspirées par le propre récit de Bullard, souvent très approximatif, notamment lorsqu'il s'agit de son épouse (qu'il déclare décédée en 1936 alors qu'elle est morte en février 1990 à Paris) et de sa belle famille qui n'avait rien d'aristocratique, contrairement à ce qui est souvent allégué.
Le 15 septembre 1991, trente ans après sa mort, et soixante-quatorze ans après son rejet par l'U.S. Service en 1917, Eugene Bullard est promu à titre posthume au grade de sous-lieutenant (second lieutenant of the United States Air Force) grâce à l'intervention de Colin Powell.
En 2006, le film de fiction Flyboys fait de Bullard (à tort) un membre de l'escadrille La Fayette alors qu'il n'a jamais appartenu à cette unité qui était déjà complète au moment où il a été breveté. Il a cependant fait partie du Lafayette Flying Corps (souvent confondu avec l'escadrille La Fayette qui regroupait les 269 pilotes volontaires américains ayant servi dans les forces françaises avant d'être intégrés, pour la plupart - sauf Bullard - dans l'aéronautique militaire américaine). Dans ce film, Abdul Salis incarne Eugene Skinner, le rôle inspiré par Bullard2.
Le 12 avril 2012 un protocole franco-américain a été signé au ministère français de la Défense pour une célébration commune du centenaire de la Première Guerre mondiale autour du Mémorial La Fayette de Marnes-la-Coquette, ce qui pourrait être l'occasion, pour les deux pays, de rendre enfin un hommage appuyé à Eugène Bullard, dont le cinquantenaire de la mort, en octobre 2011, a été passé sous silence.
En 2012, l'écrivain, historien et cinéaste Claude Ribbe lui consacre un récit biographique très détaillé qui apporte de nombreuses précisions et révélations sur la vie de Bullard (publié le 7 juin 2012 aux éditions du Cherche-Midi) et un film pour France Télévisions.