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Adminje vais vous écrire quelques histoires sur la ville d'Estaires (Nord) se situant à coté de Merville entre Béthune (Pas-de-Calais) et Armentières (Nord)
Le début de la Grande Guerre à Estaires (extrait tiré du bulletin municipal de mars 1997)
4 septembre 1914 : première patrouille allemande - Grande Rue - Estaires (photo M. Depuydt)
3 août 1914L'Allemagne déclare la guerre à la France. La neutralité de la Belgique est violée, le Nord de la France est envahi.
4 septembre Une première patrouille allemande en auto comprenant un officier et deux soldats armés arrive à Estaires comme en promenade et emmène prisonnier un soldat français en uniforme qui se trouvait dans la foule.
14 septembreUne deuxième patrouille d'environ 200 cavaliers et cyclistes est signalée à la Quénèque (au bout de la rue de l'Epinette). Elle est poursuivie par les autos-mitrailleuses de l'armée anglaise.
Début octobreL'ennemi progresse, poussant devant lui des milliers d'évacués.
11 octobreLes troupes ennemies envahissent Estaires. Seuls les trois ponts continuent à résister, constituant un coin effilé dans les lignes ennemies avec une seule possibilité de retraite par la rue de Merville.
Le dimanche 11 eut lieu la tragédie du pont d'Estaires qui fit une quarantaine de victimes (que je raconterai ensuite).
Ce même jour, les Allemands qui ont atteint la Place, sous prétexte de coups de feu tirés par des civils, exigent de la ville une rançon de 50 000 francs. Ils menacent de mettre le feu aux quatre coins de la ville si le paiement n'est pas effectué avant 8 heures très précises du soir.
Les autorités estairoises recueillent péniblement cette somme chez leurs concitoyens restés à Estaires malgré l'invasion.
12 octobreLe capitaine commandant Charles de Vrède libère vers 11 heures tous les otages qui avaient été pris parmi les personnalités, mais on apprend vers 5 heures qu'il a été tué à Lestrem dans les tranchées.
15 octobreAprès une contre-offensive de nos troupes, les Allemands évacuent la ville et se replient vers Armentières en emportant tout ce dont ils avaient pu s'emparer.
La tragédie du pont d'Estaires : 11 octobre 1914 (extrait tiré du bulletin municipal d'Estaires de mars 1997)
Le pont d'Estaires en 1914. A l'arrière-plan : l'usine Lefrancq également tenue par les Français (photo M. Depuydt)
Le 9 octobre, la préfecture de Lille avait donné l'ordre de faire évacuer tous les mobilisables. Cinquante à soixante mille hommes réussirent à passer mais plus de vingt mille durent se replier sur Lille, laissant aux mains des Allemands quatre à cinq mille prisonniers civils.
Le 11 octobre, quelques-uns qui étaient arrivés jusqu'au pont d'Estaires tombèrent au milieu des troupes ennemies. C'est alors que se déroula une des scènes les plus tragiques qu'ait vécu notre ville.
En voici le récit des rares témoins survivants:
"Les avant-gardes allemandes arrivées au pont se trouvent face aux Dragons français qui tiennent toujours les barricades du pont d'Estaires et les accueillent par une fusillade assez vive. L'armée prussienne n'ose franchir le pont.
Pourtant il faut passer. Les Allemands n'imaginent alors rien de mieux que de placer des civils devant eux pour leur servir de bouclier vivant et leur permettre de franchir le pont. Ils rassemblent des prisonniers qui étaient en leurs mains mais leur nombre leur paraissant insuffisant, ils en font rechercher une vingtaine d'autres parmi la population de la localité.
On les fait aligner. L'horreur de la situation leur apparaît aussitôt : ils se sentent inévitablement voués à la mort.
Les Français hésitent un instant : ils tirent-dessus des têtes des malheureux civils. Les cavaliers allemands en profitent pour se lancer sur le pont en se penchant sur l'encolure de leurs chevaux suivis bientôt d'autres cavaliers et de fantassins.
Les français vont être débordés, il faut se résigner : leur tir devient plus précis : des cavaliers tombent mais les civils également, l'un après l'autre.
L'un d'eux pour tenter d'échapper à la mort se jette du pont dans la rivière mais les Allemands l'abattent au moment où il remonte à la surface.
Les civils français ne sont plus que trois : MM. Charles Vieren et Eugène Fontaine d'Estaires et M. Desquennes, un Roubaisien.
Les Français prennent alors le parti de canonner le pont pour le rendre impraticable. Les trois civils tombent mais réussirent à se traîner à l'abri d'une maison.
A leur tour, les Allemands mettent leurs pièces en batterie, détruisant les maisons voisines et écrasant sous l'éboulement des murs les blessés qui s'y sont réfugiés.
L'action est terminée : les Allemands ne sont pas passés"
Quelques jours plus tard, ils reculaient jusqu'à Armentières où le front allait se stabiliser pendant 4 ans.
M. Vieren mourut à Béthune des suites de ses blessures.
MM. Fontaine et Desquennes survécurent. Parmi les morts se trouvait en particulier M. Louis Blanquart, adjoint au maire, un administrateur intègre et dévoué.
C'est en son souvenir que la place proche du pont porte ce nom.
Le 11 octobre 1992, sur cette place qui venait d'être rénovée, une plaque fut scellée rappelant cette tragédie:
"Passant, arrête-toi, souviens-toi qu'en ce lieu, le 11 octobre 1914, quarante orages ont servi de bouclier à l'envahisseur voulant pénétrer dans la ville d'Estaires. Ils ont été les victimes innocentes de ce procédé lâche et barbare. Espérons que ce sacrifice ne sera pas vain et que plus jamais nous ne revivrons une telle tragédie".
D'après MM. Depuydt, Warin, Desquennes et Joudin